Profession sociologue : ce titre peut en faire sourciller plusieurs, y compris des sociologues, qui s’identifient plus facilement à la discipline qu’à la profession. La sociologie est une discipline scientifique, elle est aussi une profession, mais elle n’est ni une science ni une profession comme les autres.
En comparaison des sciences naturelles, la sociologie n’a ni laboratoire ni procédure d’expérimentation et, ne réussissant pas à regrouper ses membres autour d’un paradigme, elle apparaît comme une discipline faiblement unifiée, lieu d’interminables débats et d’éternelles controverses. En crise permanente, quoi ! La sociologie fait par ailleurs partie de ces professions qui ne sont pas soumises à un ordre professionnel et qui ouvrent à beaucoup d’occupations : professeur, chercheur, journaliste, recherchiste, animateur, conseiller syndical, méthodologue en sondage, publiciste.
Donc ni une science ni une profession comme les autres : voilà une position qui, doublement en porte-à- faux, peut apparaître inconfortable et devenir source d’anxiété pour celui qui, audacieux, s’aventure dans cette voie professionnelle. La première question que se pose tout jeune qui veut s’orienter vers la sociologie est : « Qu’est- ce que la sociologie ? » Mais sur le marché du travail, dans un ministère, dans un organisme non gouvernemental ou dans une firme de communication, la question est différente : « Un sociologue, ça fait quoi ? » se fait-on demander.
Écrire Profession sociologue ne va pas sans difficulté, et la tentation est grande de vouloir « vendre » la sociologie et de convaincre des jeunes à la recherche d’une « vocation » ou d’une carrière que c’est le « plus beau métier du monde ». Bref un travail de publicité ! J’ai sur la sociologie mon point de vue : c’est celui d’un sociologue qui fait carrière depuis plus de trente ans dans l’enseignement universitaire et la recherche. Mais, pour ma défense, je dois dire que j’ai une connaissance plus large du monde des professions intellectuelles et scientifiques et une expérience de la sociologie appliquée avec enquêtes et consultations dans les domaines de la sociologie de l’éducation, des arts et de la culture.
Une devise : démystifier
Mes analyses seront nécessairement influencées par ma trajectoire sociale et intellectuelle dans le contexte d’une société en pleine transformation, puis en crise.
Lorsqu’à la fin de mes études classiques j’ai pris, après une période d’hésitation, la décision de m’orienter vers la sociologie, j’avais aussi pensé au droit et à la philosophie. Le droit était en quelque sorte mon « destin » social, la profession à laquelle me destinait mon père, un industriel dans un secteur en déclin, la chaussure, et qui avait une grande admiration pour les avocats et un grand intérêt pour la politique, que ce soit au palier municipal (il fut maire de Plessisville), provincial ou fédéral. Je m’étais d’abord confié à ma mère qui a joué le rôle de médiatrice : « Ne lui en parle pas. Je saurai le convaincre. »
J’avais 20 ans, nous étions en 1965. On ne cessait de nous répéter : « Vous êtes l’élite de demain. » Tout était possible, mais pas nécessairement facile. À l’époque, optimiste face à l’avenir, je ne m’inquiétais pas trop quant à mes chances de trouver un emploi. Le
conseiller en orientation nous disait de prendre d’abord en considération nos aptitudes et nos champs d’intérêt : « Les choses bougent aujourd’hui. Dans votre vie professionnelle, vous allez changer deux, trois ou quatre fois d’emploi. »
Dans la famille, l’étonnement mais aussi l’inquiétude étaient grands. « C’est quoi la sociologie ? » me demandait-on. J’avais une réponse que j’avais trouvée en feuilletant les annuaires des universités : « C’est l’étude de la société. » Il y avait dans mon choix une motivation politique et un engagement social : contester l’ordre des choses, changer la société. Je lisais Sartre, Camus. J’avais collaboré au journal étudiant, L’Écho du Collège, dans lequel j’avais publié un article controversé, « De la révolte à la révolution ». Je m’étais donné une devise : « Démystifier. » Contester, critiquer certes, mais sur une base solide : la connaissance des faits.